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27 Mar

L'enlèvement des moines de Tibhirine : 20 ans après Copyright Zinedine Zebar

Publié par Zinedine ZEBAR  - Catégories :  #religion, #moine, #monastere, #algerie, #tibhirine, #christianisme, #medea

Les Moines de Tibhirine Medea  Algerie

Les Moines de Tibhirine Medea Algerie

C’était il y a 20 ans : dans la nuit du 26 au 27 mars 1996 sept moines trappistes étaient enlevés en Algérie. Cette petite communauté de l’abbaye Notre-Dame-de-l’Atlas, fondée en 1938, à Tibhirine, près de Médéa, souhaitait vivre la charité monastique et le partage en terre musulmane. Un témoignage de vie et de foi jusqu’à la mort.

Les frères se savaient menacés et avaient fait le choix de rester en Algérie. Le "Testament spirituel" de frère Christian de Chergé, prieur du monastère cistercien Notre-Dame de l'Atlas, rédigé en décembre 1993, bien avant leur enlèvement, annonce d’ailleurs ce choix irrévocable d’une «vie donnée à Dieu et à ce pays».

MONASTERE DE #TIBHIRINE Une des chambres du monastère de Tibhirine le 19 février 2014 près de Médéa, Algérie  Copyright Zinedine Zebar

MONASTERE DE #TIBHIRINE Une des chambres du monastère de Tibhirine le 19 février 2014 près de Médéa, Algérie Copyright Zinedine Zebar

Croix dans la cours du monastère de Tibhirine Copyright Zinedine Zebar

Croix dans la cours du monastère de Tibhirine Copyright Zinedine Zebar

Christian, Christophe, Michel, Célestin, Bruno, Paul et Luc. Tous les sept avaient choisi les paysages magnifiques mais aussi l’austérité du prieuré Notre-Dame de l’Atlas comme cadre de leur vie cistercienne. C’est là que, dans la nuit du 26 au 27 mars 1996, il y a vingt ans jour pour jour, les islamistes du GIA les ont arrachés à leurs frères et à ces voisins algériens dont ils partageaient l’ordinaire des jours, entre travaux au potager et soucis du quotidien.

 

Parce qu’ils avaient librement choisi de rester jusqu’au bout, malgré les mises en garde ou les menaces, et pardonné à l’avance à leurs agresseurs, leur assassinat, annoncé le 21 mai, a suscité une émotion intense dans l’Église, mais aussi en dehors. Centré sur les derniers mois de la communauté, le film inspiré de Xavier Beauvois, Des hommes et des dieux, n’a fait que diffuser davantage cet écho. Pour ceux qui les ont connus ou qu’ils continuent à inspirer, la coïncidence cette année entre le vingtième anniversaire de leur enlèvement et la vigile de Pâques n’en est pas une. « Tout est là : acceptation des risques de la montée vers Jérusalem, la Cène, Gethsémani, la Passion, la mort vers la Résurrection… Ainsi se résument les trente mois de cheminement de la communauté après les premières menaces », assure Pierre Laurent, neveu de Frère Luc. Même conviction chez le P. Christian Salenson (1), directeur de l’Institut de sciences et de théologie des religions de Marseille, dont « la vie et la théologie ont changé » avec la rencontre – spirituelle – des moines de Tibhirine :« Leur monastère, dans ces montagnes de l’Atlas où ils ne pouvaient recruter la moitié d’un moine, était sans doute l’un des plus fragiles de leur ordre, c’est pourtant celui qui porte le témoignage de la plus grande fécondité. Dans cette inversion, je vois le visage du Christ. »

 
Le  cimetière  et le  monastere  de Tibhirine ou reposent les  sept moines  copyright Zinedine Zebar
Le  cimetière  et le  monastere  de Tibhirine ou reposent les  sept moines  copyright Zinedine Zebar Le  cimetière  et le  monastere  de Tibhirine ou reposent les  sept moines  copyright Zinedine Zebar

Le cimetière et le monastere de Tibhirine ou reposent les sept moines copyright Zinedine Zebar

Une fidélité d’amour avec le peuple algérien

Pas question donc de séparer leur mémoire de celle de leurs frères algériens. Dans son fameux testament spirituel, Christian de Chergé l’avait d’ailleurs expressément défendu. « Nos martyrs sont un petit nombre parmi tous ceux qui ont été fidèles à leur conscience et ont refusé la violence et le mensonge », tient à rappeler Mgr Desfarges, évêque de Constantine et administrateur apostolique d’Alger.

C’est bien cette fidélité à ce lien « d’amour, d’alliance avec le peuple algérien »,que veut célébrer l’Église d’Algérie, et qui est aussi le sens de sa présence tenace à ses côtés. Un témoignage dont elle continue à vivre, et qui inspire même ses plus jeunes membres – religieux ou religieuses de communautés récemment installées, étudiants subsahariens – alors même qu’ils n’ont jamais connu les moines.

« L’histoire de Frère Luc m’aide beaucoup dans ma pratique : si lui a réussi à travailler dans cette communauté, pourquoi pas moi ? », affirme ainsi Martin, 26 ans, originaire du Zimbabwe, étudiant en sixième année de chirurgie dentaire à Blida. Lorsque, à l’hôpital, certains patients le « rejettent » parce qu’il n’est pas algérien, Martin songe au travail des moines et se répète qu’il peut s’« en sortir »…

Un appel prophétique

Depuis l’assassinat des moines, la vie contemplative a quasiment disparu d’Algérie. L’avenir du prieuré de Tibhirine, sur lequel veille avec dévouement le P. Jean-Marie Lassausse, prêtre de la Mission de France, se dessine en pointillé, avec l’espoir de l’installation prochaine d’une communauté nouvelle – peut-être le Chemin-Neuf – qui lui permettrait de continuer à vivre et à accueillir le public. Et c’est à Midelt, au Maroc, que souffle désormais l’esprit de Notre-Dame de l’Atlas, là où ont trouvé refuge les F. Amédée (décédé en 2008) et Jean-Pierre Schumacher et où la vie cistercienne se poursuit, « en convivialité » avec les croyants de l’islam, témoigne ce dernier dans Tibhirine, l’héritage, un recueil de textes qui paraît ces jours-ci, préfacé par le pape François (2).

Sur les deux rives de la Méditerranée, le témoignage des moines de Tibhirine n’en demeure pas moins comme un appel prophétique à réaliser ce « dialogue de vie avec les musulmans », seul susceptible de « vaincre la violence », comme l’écrit le pape dans sa préface. Un témoignage qui, avec les attentats qui se succèdent, « prend une nouvelle dimension sur la manière dont on peut pleinement vivre, fraternellement, sans naïveté ni concessions, face à la peur et au climat de violence qui semble se généraliser ici et dans le monde », estime Hilaire de Chergé, neveu du P. Christian. Pour le P. Salenson, initiateur d’une Communion Tibhirine qui rassemble environ 250 priants en France, « chacun à sa manière, Christian, Luc, Christophe ou le discret Michel – dont le prieur disait qu’il était “le plus mystique de tous” – nous ont tracé un chemin. Il nous faut donner l’hospitalité à la foi de l’autre, c’est-à-dire accepter de ne plus croire comme chrétiens sans les autres ».

La messe a  notre dame d'afrique  Alger   Copyright  Zinedine  Zebar

La messe a notre dame d'afrique Alger Copyright Zinedine Zebar

CHRONOLOGIE

1843. Douze moines de l’abbaye d’Aiguebelle (Drôme) fondent un monastère à Staouëli (Algérie).

1904. Les moines quittent l’Algérie et se réfugient en Italie.

7 mars 1938. Le monastère Notre-Dame de l’Atlas est fondé à Tibhirine.

1946. Arrivée de Frère Luc et de Frère Amédée dans la communauté.

1959. Frère Luc est victime d’un enlèvement, avant d’être relâché.

1964. Après l’indépendance de l’Algérie, la fermeture de Tibhirine est envisagée.

1971. Arrivée de Christian de Chergé à Tibhirine.

1976. Une partie des terres du monastère sont nationalisées.

1984. Christian de Chergé est élu prieur de Tibhirine.

1988. Une « annexe » de Tibhirine est fondée à Fès (Maroc).

24 décembre 1993. Première visite des terroristes islamistes.

27 mars 1996. Enlèvement de sept moines à Tibhirine.

23 mai 1996. La mort de Christian de Chergé et de ses compagnons est annoncée.

30 mai 1996. Les têtes des sept moines sont retrouvées à Médéa.

2 juin 1996. Messe de funérailles des sept frères et du cardinal Duval à Notre-Dame d’Afrique à Alger.

1er août 1996. Mgr Pierre Claverie, évêque d’Oran, est victime d’un attentat à la bombe.

2000. Installation de Notre-Dame de l’Atlas à Midelt (Maroc). Le monastère de Tibhirine est confié au P. Jean-Marie Lassausse.

2007. Introduction de la cause des 19 religieuses et religieux morts en Algérie auprès du diocèse d’Alger.

Septembre 2010. Sortie sur les écrans du film Des hommes et des dieux.

Octobre 2013. Le procès en béatification des 19 martyrs d’Algérie – dont les sept moines de Tibhirine – est introduit à Rome.

Texte Anne-Bénédicte Hoffner et Chloé Rondeleux (à Alger) Photos Zinedine Zebar 

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